Mon Dieu jusqu'au dernier moment 
Avec ce cœur débile et blême 
Quand on est l'ombre de soi-même 
Comment se pourrait-il comment 
Comment se pourrait-il qu'on aime 
Ou comment nommer ce tourment

Suffit-il donc que tu paraisses 
De l'air que te fait rattachant 
Tes cheveux ce geste touchant 
Que je renaisse et reconnaisse 
Un monde habité par le chant 
Elsa mon amour ma jeunesse

Ô forte et douce comme un vin 
Pareille au soleil des fenêtres 
Tu me rends la caresse d'être 
Tu me rends la soif et la faim 
De vivre encore et de connaître 
Notre histoire jusqu'à la fin

C'est miracle que d'être ensemble 
Que la lumière sur ta joue 
Qu'autour de toi le vent se joue 
Toujours si je te vois je tremble 
Comme à son premier rendez-vous 
Un jeune homme qui me ressemble

M'habituer m'habituer 
Si je ne le puis qu'on m'en blâme 
Peut-on s'habituer aux flammes 
Elles vous ont avant tué 
Ah crevez-moi les yeux de l'âme 
S'ils s'habituaient aux nuées

Pour la première fois ta bouche 
Pour la première fois ta voix 
D'une aile à la cime des bois 
L'arbre frémit jusqu'à la souche 
C'est toujours la première fois 
Quant ta robe en passant me touche

Prend ce fruit lourd et palpitant 
Jette-z-en la moitié véreuse 
Tu peux mordre la part heureuse 
Trente ans perdus et puis trente ans 
Au moins que ta morsure creuse 
C'est ma vie et je te la tends

Ma vie en vérité commence 
Le jour que je t'ai rencontrée 
Toi dont les bras ont su barrer 
Sa route atroce à ma démence 
Et qui m'as montré la contrée 
Que la bonté seule ensemence

Tu vins au coeur du désarroi 
Pour chasser les mauvaises fièvres 
Et j'ai flambé comme un genièvre 
Á la Noël entre tes doigts 
Je suis né vraiment de ta lèvre
Ma vie est à partir de toi

Louis Aragon