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Moïcani - L'Odéonie

"Quand un salon littéraire devient un boudoir pour dames"

MORT DE PIERRE SCHOENDOERFFER

Pierre Schoendoerffer, un survivant de l'Histoire

 

Le cinéaste et romancier Pierre Schoendoerffer, à son domicile parisien en 2007.

Le cinéaste et romancier Pierre Schoendoerffer, à son domicile parisien en 2007.AFP/JOEL SAGET

Le cinéaste et écrivain Pierre Schoendoerffer est mort, mercredi 14 mars à l'âge de 83 ans, des suites d'une opération à l'hôpital Percy à Clamart.

Etre à la fois au cœur du cinéma français et, en même temps, irrémédiablement individualiste – et même, sans doute, assez seul –, telle fut la paradoxale position de Pierre Schoendoerffer, qui fut confronté, jeune, à une Histoire s'écrivant dans le sang et la violence et dont il voulut restituer, par l'écriture et l'image en mouvement, une ébauche de vérité.

Schoendoerffer occupa, dans ses années d'apprentissage, cette condition étrange qui était d'être à la fois un acteur et un observateur de son époque. Plus exactement, c'est sa qualité d'observateur qui fit, tout d'abord, de Pierre Schoendoerffer, un sujet de l'Histoire.

PRISONNIER À DIÊN BIÊN PHU

Il est d'origine alsacienne, mais il est né à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, le 5 mai 1928. Encore lycéen à Annecy, grand lecteur d'Herman Melville, Joseph Conrad ou Jack London, stimulé par la lecture du roman de Joseph Kessel Fortune Carrée et passionné par la mer, il s'engage dans un chalutier à voile. Mais il est surtout obsédé par un désir tenace, celui de raconter des histoires. Ainsi, hors le goût de l'aventure, son autre passion sera le cinéma.

Il se heurte à la difficulté de rentrer dans ce milieu professionnel ("C'est un château de Kafka", aimait-il dire). Il apprend, en lisant dans la presse un article consacré à la mort d'un caméraman de l'armée, l'existence d'un service cinématographique des armées. Il s'engage, effectue un stage au Fort d'Ivry et part en Indochine en 1952. Il est envoyé d'abord au Cambodge, devient caporal-chef et cameraman. Il filme les opérations militaires. Il est fait prisonnier à l'issue de la bataille de Diên Biên Phu, qui marquera la fin de la domination française sur l'Indochine, et survivra à l'épreuve d'une captivité particulièrement dure.

Pierre Schoendoerffer (à gauche) et le photographe Daniel Camus après leur libération en août 1954.

Pierre Schoendoerffer (à gauche) et le photographe Daniel Camus après leur libération en août 1954.AFP/LIRON

A son retour en France, il devient journaliste, travaille pour les actualités cinématographiques et part au Maroc, puis pour une Algérie qui commence àconnaître les soubresauts sanglants de la lutte pour l'indépendance. C'est Joseph Kessel, son idole littéraire qu'il a rencontré à Hongkong après sa libération, qui lui permet de réaliser un film documentaire tiré d'un de ses propres livres, La Passe du diable, documentaire sur le jeu de bouzkachi, pratiqué en Afghanistan.

VIE MILITAIRE SUR LE TOURNAGE DE "LA 317E SECTION"

Le producteur en était George de Beauregard, à qui l'on devra aussi les premiers films de Jean-Luc Godard. Celui-ci s'attache au jeune aventurier et lui donne l'occasion de tourner deux adaptations de Pierre Loti, Ramuntcho et Pêcheurs d'Islande, en 1958. Le succès n'est pas au rendez vous, et la carrière de cinéaste de Schoendoerffer, qui a aussi commencer à écrire, est au point mort.

Beauregard, aristocrate du cinéma français, fasciné par le parcours de son réalisateur, lui permet d'adapter un récit que Schoendoerffer avait écrit en 1963 en pensant déjà à son adaptation cinématographique, La 317e section. Le tournage est pénible pour l'équipe, lâchée dans la jungle. "J'ai imposé à tout le monde la vie militaire, dira le cinéaste. Un film sur la guerre ne peut pas se faire dans le confort. Tous les matins, nous nous levions à 5 h et nous partions en expédition à travers la jungle. Nous étions ravitaillés par avion toutes les semaines. La pellicule était expédiée à Paris dans les mêmes conditions. De là-bas, on nous répondait télégraphiquement 'Bon' ou 'Pas bon'." Cela donnera un des plus grands films de guerre de l'histoire du cinéma. Une œuvre qui n'aura pas d'équivalent, et surtout pas dans le cinéma hollywoodien.

La 317e section met en scène une section de l'armée française durant la guerre d'Indochine. Celle-ci, composée d'un jeune officier, d'un sous-officier aguerri et de supplétifs locaux, est stationnée à la frontière du Laos. Elle a reçu l'ordre de sereplier à 150 km au sud. Pendant ce temps, la bataille fait rage à Diên Biên Phu et le Vietminh encercle les protagonistes.

Le repli devient ainsi une longue marche, au cours de laquelle les hommes, et en particulier le lieutenant et l'adjudant, apprendront à se connaître. Sans doute n'avait-on jamais filmé la guerre à une hauteur aussi humaine, sans emphase, sans aucune considération sur les raisons du conflit et les idéologies qui lui donneraient un sens, adoptant un point de vue définitivement ancré au cœur de la troupe, face à un ennemi devenu invisible.

LES PERDANTS DE L'HISTOIRE

En restant au plus près des êtres qu'il filme, Schoendoerffer atteint à une grandeur inattendue. L'épopée métaphysique surgit derrière la sécheresse du style et l'indifférence du monde dont il témoigne. Jacques Perrin (le lieutenant Torrens) etBruno Crémer (l'adjudant Wilsdorff) tiennent les rôles de leur vie. Le film remporte le prix du scénario au Festival de Cannes en 1965.

Jacques Perrin dans le film de Pierre Schoendoerffer, "La 317e section".

Jacques Perrin dans le film de Pierre Schoendoerffer, "La 317e section".© CINÉ CLASSIC

Après un film de hold-up plaisant mais anodin, Objectif : 500 millions, Schoendoerffer propose à Pierre Lazareff, qui dirige l'émission "Cinq colonnes à la une", de filmer une section de marines engagée au Vietnam. Cela donnera LaSection Anderson, qui emporte en 1968 l'Oscar du meilleur film documentaire.

Schoendoerffer devient un écrivain reconnu. L'Adieu au roi, publié en 1969, inspirera en partie John Millius lorsqu'il écrira le scénario d'Apocalypse Now (1979).

Le Crabe-Tambour (adapté d'un de ses romans) en 1976, L'Honneur d'un capitaineen 1982, Diên Biên Phu en 1994 et enfin, Là-haut, un roi au-dessus des nuages,film-testament de 2004 (également tiré d'un de ses romans) poursuivent (avec des moyens moins radicaux que La 317e section) le roman des guerres coloniales perdues et des hommes qui les ont faites.

Le cinéma de Schoendoerffer devient le mausolée des rêves français d'une grandeur défunte et fantasmatique. Il aura mis en scène, non sans mélancolie, des perdants de l'Histoire qui sont aussi des figures que le cinéma français a, la plupart du temps, dédaignées.

Le Monde.fr

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