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Moïcani - L'Odéonie

"Quand un salon littéraire devient un boudoir pour dames"

INEDIT : "Fear and Desire" : ce film inédit que Stanley Kubrick voulait détruire

 

 

Virginia Leith dans le film américain de Stanley Kubrick, "Fear and Desire" (1954), sorti en salles mercredi 14 novembre 2012.Virginia Leith dans le film américain de Stanley Kubrick, "Fear and Desire" (1954), sorti en salles mercredi 14 novembre 2012. | © FILMS SANS FRONTIÈRES

 

 

C'est le film manquant de la filmographie de Stanley Kubrick. Un premier long-métrage dont son auteur, plus tard, cherchera à détruire le négatif, et qu'il exclura de toute rétrospective. Volonté perpétuée encore aujourd'hui par ses héritiers. Au-delà de ses qualités et de ses défauts, Fear and Desire constitue un témoignage passionnant sur les premiers pas, trébuchants, d'un impressionnant artiste ducinéma.

A la fin des années 1940, Stanley Kubrick, jeune homme introverti mais décidé, erre dans Greenwich Village. Il passe son temps dans les boîtes de jazz et aux séances de cinéma du MoMA. Au chômage, il gagne un peu d'argent en jouant aux échecs. Il réalise en 1951 et en 1952 deux courts-métrages documentaires dont il a l'idée en partant faire des reportages photo pour le magazine Look. Durant l'été 1950, il avait proposé à l'un de ses amis, le poète Howard Sackler, d'écrire un scénario pour un long-métrage qui devait s'appeler The Trap puis Shape of Fear, un récit de guerre, alors que le conflit coréen commençait. Mais la guerre à laquelle il pense est une guerre non située dans l'Histoire, l'idée de la guerre plutôt que sa réalité, la guerre comme révélateur de la vérité humaine. Il calcule qu'en tournant en extérieurs en Californie, en embauchant des acteurs de théâtre new-yorkais inconnus, en réduisant au minimum son équipe technique, en louant du matériel de prise de vues 35-mm à la journée et en tournant sans prise de son, il diminuerait et le temps et le coût du tournage.

 

 

Une scène du film américain de Stanley Kubrick, "Fear and Desire" (1954).

 

 

Manipulateur, il suscite auprès d'un ami, journaliste au New York Times, un article sur son projet. Son père et quelques amis de sa famille investissent 10 000 dollars dans le film. Il tente sa chance auprès du producteur Richard De Rochemont, qui refuse de le suivre. C'est son oncle, Martin Perveler, à la tête d'une chaîne de pharmacies, qui financera le reste. Le tournage se passe sans accrocs, mais Kubrick doit faire face aux surcoûts de la musique et de la postsynchronisation. Richard De Rochemont accepte alors d'investir un peu d'argent. Sur les recommandations de son distributeur Joseph Burstyn, spécialisé surtout dans les films d'auteurs européens, il change le titre de l'oeuvre, qui s'appellera désormaisFear and Desire.

Le résultat est une fable philosophique un peu pataude au cours de laquelle quatre soldats, participant à une guerre indéterminée, se retrouvent coincés derrière les lignes ennemies et tentent de rejoindre leur base. Monologues abstraits et boursouflés ("Chaque homme est-il une île ?"), gros plans expressifs, symboles appuyés (certains acteurs jouent deux rôles, ceux des soldats perdus mais aussi d'officiers ennemis qu'ils sont amenés à tuer), citations shakespeariennes caractérisent une oeuvre étrange, parsemée de plans à l'éclairage parfois très (trop) élaboré.

Erreur de jeunesse

Il organise une première projection, notamment pour le grand critique James Agee. Selon le futur cinéaste Curtis Harrington, qui y a assisté, "le film ne fut pas bien reçu. (...) Les gens riaient aux scènes dramatiques et tout semblait un peu trop lourd et exagéré. Après la projection, Stanley a fondu en larmes". Burstyn sortFear and Desire en salles le 31 mars 1953, après une petite campagne de publicité le présentant comme un film de guerre un peu sexy. Les critiques new-yorkaises furent pour la plupart louangeuses, mais le film aura peu de succès et sera peu vu. Kubrick a toujours considéré Fear and Desire comme une erreur de jeunesse, "un effort prétentieux et inepte", dira-t-il. Le film contribuera pourtant àasseoir sa crédibilité comme cinéaste.

Par Jean-François Rauger LE MONDE

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