18 Mars 2010
Isabelle Aubret raconte Jean Ferrat
Isabelle comme fidèle. À sa passion, la chanson. Et à ses amitiés. Celle de Jean Ferrat. Alors qu’elle apprenait sa mort avant son entrée en scène pour chanter ses chansons à Tours lors de
la tournée Âge tendre et têtes de bois, nous l’avons rencontrée à sa sortie de scène où elle a fait montre d’une grande force comme toutes les épreuves qu’elle a traversées.
“Isabelle, c'est un petit mec” disait d'elle Jacques Brel. Il ne s'était pas trompé. Entretien exclusif.
Propos recueillis par Dominique Parravano.
Comment avez-vous appris la mort de votre ami Jean Ferrat ?
Je l’ai appris par sa femme Colette samedi en tout début d’après-midi. Elle m’a dit : “Ça y est, c’est fini, Jean est parti”.
Une phrase que vous avez repris quelques heures après pour l’annoncer au public - qui ne le savait pas encore - sur scène à Tours alors que vous étiez en tournée avec le
spectacle Âge tendre et têtes de bois...
Oui, je l’ai annoncé de la même manière que sa femme me l’a appris. Il y a eu un grand “Ah !” de désolation dans la salle. Depuis un an, où je suis sur cette tournée d’Âge tendre et têtes
de bois, avant d’entrer en scène, c’est Jean Ferrat qui me présentait sur un écran vidéo. J’y chante ses chansons tous les soirs car il mérite qu’elles accèdent au plus grand nombre. Et,
je me suis toujours évertuée à ce qu’elles soient bien véhiculées.
Vous avez eu le courage de monter sur scène deux fois dans la même journée devant 14 000 personnes. Comment puise-t-on la force en pareille circonstance ?
C’est toujours dur dans de telles circonstances. Toutefois, je voulais partager ma tristesse avec le public à qui il devait tant et qui a toujours eu une grande ferveur à l’égard de son
œuvre. Même si le chagrin est très violent et si c’est dur, ma place était de lui rendre hommage en interprétant ses chansons en live qui prennent véritablement leur dimension, notamment en
finissant avec C’est beau la vie qu’il m’avait offerte en 1964.
Vous aviez supprimé La Montagne de la saison 2 d’Âge tendre et têtes de bois et là, vous l’avez spécialement remis. Pour quelle raison ?
Car, je voulais entendre le public reprendre en chœur ce titre, à cette occasion de communion et de ferveur émotionnelle particulière. Je voulais ressentir leur dévotion. À chaque fois, c’est
un moment de communion magique et qui, ce jour-là, faisait encore plus sens.
Comment réagissait-il au fait que depuis un an vous le chantez sur cette tournée ?
Il en était très honoré. Il trouvait que je chantais certaines chansons mieux que lui. Il m’avait juste demandé pour cette nouvelle session de chanter Ma France qui lui
avait valu une censure de près de deux ans et qui lui tenait à cœur. Et, je le ressentais comme un devoir de le faire.
Quand l’avez-vous rencontré ?
En 1962, quand j’enregistrais Deux enfants au soleil mais surtout en 1964 quand il m’a écrit C’est beau la vie et ce fut un véritable coup de foudre
artistique et non pas amical car il a fallu que je l’apprivoise avec le temps. Il me proposa de faire la première partie de la tournée qu'il démarrait alors. Moi, j’étais tout en noir et,
lui, tout en blanc. Par la suite, j’ai fait la première partie de Jacques Brel à l'Olympia avec qui, pour le coup, j’ai eu un vrai coup de foudre amical.
Pourquoi cela ne fut pas un coup de foudre d’emblée amical ?
Parce que, contrairement, à ce qu’on sait ou croit, moi, j’étais un chien fou et lui était un berger plus serein, beaucoup plus tempéré que moi. Avec le temps, on s’est apprivoisés et aimés.
Il me donnait confiance en moi. Il me disait toujours : “Ne doute jamais de toi”.
Plus tard, alors que vous êtes pressentie par Jacques Demy et le musicien Michel Legrand pour tenir le rôle principal du film Les Parapluies de Cherbourg, vous êtes victime
d'un grave accident de voiture. Jacques Brel vous fait alors le don à vie des droits de la chansonLa Fanette et Jean Ferrat vous écrit C'est beau la vie...
Oui, c’est mon plus beau cadeau le legs de cette chanson. Elle est magnifique. C’est la chanson de ma résurrection et je la chante en fin de tour de chant et, forcément, elle prend encore un
tout autre relief alors qu’il vient lui-même de perdre la vie.
Vous l’appeliez Tonton, pour quelle raison ?
Je n’aimais pas son prénom, je trouvais que ça ne lui allait pas alors ce surnom s’est imposé naturellement.
Quels sont vos souvenirs les plus marquants ?
Ferrat, Brel et Aragon ont été mes parrains. Ce n'était pas rien d'avoir leur affection et leur soutien. Cela m’a donné confiance pour avancer dans ce métier. Toutefois, à titre personnel,
c’est l'Eurovision de 1968 qui a été l'événement le plus important pour moi. Interpréter La source fut un événement car je me relevais de mon accident de
voiture qui m'avait contrainte à rester alitée pendant un an et demi. C'étaient mes premiers pas, mon retour à la vie. Le soir de la première à l'Olympia avec Brel est aussi un beau souvenir
ainsi que récemment quand je lui ai offert son disque de platine chez lui pour ses 250 000 exemplaires vendus en un mois et que m’avait remis Michel Drucker sur la scène du Palais des
Congrès.
Quel homme était-il dans l’intimité ?
Un grand sensible. Un grand fragile et un grand humaniste. Il est ce qu’il a écrit.
Vous êtes aux côtés de Gérard Meys, son producteur et éditeur. Quel regard portez-vous sur son œuvre ?
Il y avait une grande pureté, une grande sincérité dans son écriture qui parlait de nous. C’est pourquoi les gens l’aimaient tant. Il n’avait pas la passion de la scène. Je fais de la scène
pour lui. Lui, il aimait avant tout écrire, il aimait les gens. C’est une déchirure pour moi, un grand vide et surtout une grande perte pour la chanson. Je continuerais à le chanter jusqu’à
mon dernier souffle.