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Moïcani - L'Odéonie

"Quand un salon littéraire devient un boudoir pour dames"

APRES 15 ANS D'ABSENCE, "LE MEILLEUR DES CHOSES" NOUVEL ALBUM DE GUY BEART SORTIRA LE 27 SEPTEMBRE 2010

Guy Béart, toujours aussi vif

Après quinze années de silence, le chanteur de L’Eau vive sort un nouvel album, son "dernier jus". A l’occasion, il règle ses comptes avec une époque qui "sacrifie tout au veau d’or".

Guy Béart

Guy Béart dans sa maison de Garches (Hauts-de-Seine) (Mélanie Frey/Fedephoto pour le JDD)

 

"Guy Béart? Il est encore vivant?" La remarque fait sourire l’auteur de L’Eau vive qui trouve "géniale" la perspective d’être "un mort vivant". Il est vrai que Béart s’est retiré du monde pendant quinze ans, vivant, reclus et bienheureux, avec ses quatre chats, dans son antre de Garches, une imposante maison de l’école Bauhaus à l’architecture arrondie et carrée. Dans cette vaste demeure de 1.500 m2, le temps s’est arrêté à la fin des années 1960: une dizaine de guitares alignées; des disques d’Or qui tapissent les murs jaunis du home studio; un piano à queue noir entouré de cartons, comme après un déménagement inachevé…

C’est ici que le gratin du show-biz, au siècle dernier, festoyait durant les fameux "réveillons d’été" organisés tous les 21 juin. A l’étage, François Mitterrand, avec Jack Lang et Claude Pompidou, a sauvé le Centre Pompidou, "quand Giscard voulait le foutre en l’air". C’est dans la piscine du jardin, où se dresse une parcelle d’escalier de la tour Eiffel, que Michel Simon, l’ami Brassens et Louis Aragon venaient faire trempette l’été. "Ils n’ont jamais osé se baigner tout nus avec moi", souligne le naturiste invétéré, "mais pas exhibitionniste", tient-il à préciser.

 

"Je suis fondamentalement solitaire"

Réputé pour accueillir le visiteur en petite tenue (slip ou tunique courte), Guy Béart se présente avec élégance: pantalon gris et chemise turquoise assortie à ses yeux céruléens. A 80 ans, le saltimbanque se déplace à pas comptés mais reste une force de la nature. Il a vaincu deux cancers en 1985, ce qui ne l’empêche pas de griller clope sur clope. "J’ai fait mes examens médicaux, ça va, mais on ne sait jamais tant qu’on n’est par mort." Il fut sacré "premier fumeur de pipe de France" avant d’opter pour la simplicité des blondes. "On l’allume, elle se consume toute seule, ça correspond bien à notre monde agité en permanence."

Le verbe est haut en couleur, la mémoire infaillible. Et l’inspiration? Fertile comme le prouve Le Meilleur des choses. Le disque du retour, après quinze ans d’un silence orgueilleux, en réponse à la mise à mort de son précédent album (Il est temps). Un disque "fusillé à sa sortie" par une maison de disques qui "en avait marre des vieux schnocks". Guy Béart s’était alors mis aux abonnés absents. Un effacement total, jusque dans les bacs des disquaires où ses albums sont toujours indisponibles.

Il assure n’avoir jamais connu l’ennui durant sa retraite monacale: "Je n’ai pas de besoins très sophistiqués, j’ai eu tous les appétits de mes âges." Il a cuisiné ("ma seconde passion"), rangé sa maison ("il faudrait deux générations pour tout remettre en ordre"), joué aux échecs avec une copine… Bouquiné et regardé la télévision en téléphage critique avec "les animateurs qui pètent plut haut que leur QI". On a oublié qu’il a créé en 1966 une émission culte, Bienvenue, qui accueillait en direct Duke Ellington, Elsa Triolet et Aragon, Arthur Rubinstein, Simon and Garfunkel… "Je suis fondamentalement solitaire. C’est pourquoi je n’ai jamais pu maintenir une relation amoureuse au-delà de cinq années", confie le père d’Emmanuelle Béart, mystérieux quand il s’agit de chiffrer sa descendance.

La joute avec Gainsbourg

Avec le temps, Béart a ravalé sa rancœur. Les pontes, "des majors et des minors", ont défilé à Garches. Béart est un vieux routier de l’industrie musicale, il fut en 1963 le pionnier de l’autoproduction en France. "Il sait exactement où il va, ne lâche rien", confirme un responsable de Sony, la maison de disques choisie par Béart, après d’âpres négociations, notamment pour le convaincre l’idée d’un triple best of, condensé de son répertoire pléthorique (400 chansons dont 80 tubes).

Ces dernières années, il avait continué à noircir ses petits cahiers de mots, phrases mélodiques, idées soufflées durant ses rêves par Morphée. "Les grandes idées viennent toujours la nuit. Auparavant, je me réveillais pour les noter, aujourd’hui, j’ai un petit Dictaphone." Il considère la chanson comme un "art majeur", point de vue qui l’opposa, en 1986, sur le plateau d’Apostrophes, lors d’une fameuse joute verbale avec Serge Gainsbourg. Ce dernier traita Béart de "connard". Les deux hommes se fréquentaient pourtant, malgré leurs différences. "Un soir, Serge était venu dîner avec Jane Birkin. Je lui avais proposé une ballade écrite par mes soins. Elle était sous le charme." Le Pygmalion n’a jamais autorisé sa muse à interpréter la chanson d’un autre.

Sur Gainsbarre, Béart manie l’ironie avec un soupçon de mauvaise foi: "Un publiciste de génie. Il a écrit de belles chansons, et d’autres mineures, pour les mineures." Aujourd’hui encore, il n’en démord pas. "La chanson est l’expression de l’âme la plus pure. Quand les gens sont atteints de la maladie d’Alzheimer, ils se souviennent surtout des chansons." Selon une légende familiale, Guy Béart a poussé la chansonnette jeune: "Quand je suis sorti du ventre de ma mère, je n’étais pas animé. Mon père, qui buvait pas mal, m’a alors frotté le corps avec du cognac. Je n’ai pas crié, mais poussé une longue psalmodie. Elle fut sans doute ma première chanson."

 

 

Voir son nom oublié au profit de son œuvre

Pour l’ancien ingénieur diplômé des Ponts et Chaussées (il préfère "Ponts et Chansons"), son art relève d’une alchimie entre son inspiration onirique et une rigueur scientifique. "Une bonne chanson doit remplir quatre conditions: parler à l’enfant avec des jeux de mots, interpeller notre part féminine par une émotion, intéresser la partie masculine avec une information et délivrer, entre les lignes, un message de contrebande. L’Eau vive dénonçait le danger à domestiquer la nature, en l’occurrence le cours de la Durance."

Il se définit comme un "pessimiste gai", lui qui déteste capitaliser sur la nostalgie. Il a toujours préféré l’espérance et la malice à l’indignation qui "ronge le corps". Quitte à passer pour un chanteur ringard, un gentil animateur de soirées boy-scouts autour d’un feu de bois. Son répertoire a pourtant abordé, avec clairvoyance, l’homosexualité, la quête obsessionnelle de la gloire, l’écologie, la fin des idéologies…

Ce fin lecteur de L’Ecclésiaste porte un regard critique sur son époque: "Un monde païen qui sacrifie tout au veau d’or." Pour Béart, "l’humanité se divise en deux catégories: des acheteurs dragués par la pub et des vendeurs. Mais on trouve peu de créateurs." Et la politique? L’intime de Pompidou et Mitterrand l’observe avec une indifférence polie. On l’imagine préoccupé par de plus hautes considérations. Il croit en l’immortalité de l’âme, aspire à entrer dans la postérité comme "un anonyme du XXIe siècle". Voir son nom oublié au profit de son œuvre. En attendant, il espère que son album sera couronné de succès. "J’aimerais dire que je suis insensible à l’accueil de mon disque, mais cela prouverait que j’ai atteint une sagesse quasi divine et que je suis mort." Mais non, Béart est bien vivant.

Un album intemporel… 
Des mélodies simples en apparence, un entrelacs des guitares sèches et une voix miraculeusement préservée. Avec cet album enregistré chez lui, Guy Béart signe un retour sans fausse note, ni révolution majeure, fidèle à lui-même. En douze chansons, il raille la vulgarité de la télévision; célèbre le génie français (le droit de grève, les vacances…); le mystère de l’amour et les plaisirs polissons avec une gourmandise réjouissante. Dans un registre plus sombre, il conte le quotidien d’un ancien militaire manchot déprimé en temps de paix. Sans oublier la chanson-titre, Le Meilleur des choses, hymne délicieusement anachronique aux plaisirs simples de la vie…

Eric Mandel - Le Journal du Dimanche

 

 

 

 

http://jack200.free.fr/beart/index.html

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