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Moïcani - L'Odéonie

"Quand un salon littéraire devient un boudoir pour dames"

Patrick Eudeline "Rocker Lettré" Nous Parle De James Joyce

PATRICK EUDELINE Homme de Lettres contre le paraître

Extraits :

Des passeurs. Voila ce qui manque cruellement à notre époque. Ces gens capables de vous faire découvrir tout un monde dont on ne sentait que la frêle existence. A ce stade il y a bien quelque chose à avouer : Charles Vos Strychnine et moi-même devons beaucoup à Patrick Eudeline. Que ce soit pour la culture littéraire ou musicale, ses papiers ont été de vraies révélations.

Une interview en forme de plats copieux. De la littérature, ses rapports avec la musique, et les grandes questions de l’écrit. Un conseil, accrochez-vous pour le namedropping… Google restera votre meilleur ami. Premier tome de la rencontre avec Patrick Eudeline, homme de Lettres, directeur de collection chez Scali, maison d’édition.

Par quoi as tu été initié à la littérature?

Ce qui est très drôle, c’est que même si à l’école j’étais très bon en français, c’était quasiment par défaut. Tous les auteurs importants, je les ai découvert par les Rock & Folk des années 60. La première fois que j’ai entendu parler de Villiers De L’isle-Adam, Oscar Wilde et tout ca, c’était des fois un seul mot dans Rock & Folk. Je me souviens très bien de la première fois que j’ai lu un article qui parlait de Dorian Gray, c’était sur un type qui à mal tournée après, Keith Emerson… mais la c’était sa grande époque. Il était organiste et il jouait dans Nice qui était assez sublime… il jouait avec PP Arnold, Steve Marriott et tout ca. Et donc Paringaux disait: ” Le Dorian Gray de ceci cela.”

Je crois que c’était Yves Adrien le premier a avoir parlé de Villiers De L’isle-Adam. Le truc initiatique, ça a vraiment été ça. Même si après, au début des années 70, tout les lecteurs de Rock & Folk ou Actuel ne se branchaient pas la dessus. On était une toute petite minorité à Paris à découvrir Jean-Jacques Schul, a avoir flashé sur lui; ou Oscar Wilde, le tout en pleine période gauchiste. C’est à dire: pourquoi j’avais choisi à 12-13 ans les poètes décadents plutôt que les théoriciens Marxistes qui étaient aussi à la mode… c’est une autre question. Mais voila pourquoi a 10-11 ans j’écrivais des sorte de poèmes; très nuls je vous rassure; mais néo-gothique où je ne parlais que de neige et de froids… des trucs comme cela. Pourtant je n’avais pas les codes et la structure qui allaient avec. Je n’avais pas encore lu les auteurs.

Je crois que dans un article vous aviez eu des mots assez durs auprès des profs de français et des étudiants de lettre.

Oui. Et c’est pour cela que je suis assez terrifié quand j’apprends que les gamins apprennent l’anglais avec des chansons des Beatles. Parce que il y a vraiment de quoi les dégoûté des Beatles. Et même l’étude du français à l’école; on te parle un peu de Rimbaud et Baudelaire par exemple, mais en l’édulcorant a mort. Et en plus de ça, on ne te dit même pas la vérité. On ne te parle même pas de Huysmans. Je n’ai jamais entendu cité Huysmans à l’école. Puis la biographie de Verlaine est très édulcorée. Je me rappelle notre prof, il nous l’avait présenté d’une telle manière que j’avais trouvé ca détestable. On te disait: “oui, l’un des poètes académiques…”. Tout ce que l’on pouvait te dire pour de dégoûter de ca. C’est bien après que j’ai compris l’affiliation avec les symbolistes, que j’ai eu une image du XIX éme siècle plus précise. Mais ce n’est pas celle que l’on m’a enseigné à l’école. Et puis tous les grands importants comme Villiers De L’isle-Adam, sans parler de Léon Bloy… on ne t’en parle pas. Donc, non seulement c’est académique, mais aussi tronqué. Et Claudel à 14 ans, on prenait ca pour une sorte de penseur, mais on savait pas encore qu’il venait du truc décadent.

Au final, la littérature, on ne peut la découvrir que tout seul.

Oui je pense. C’est évident. Donc ce n’est pas très grave, et c’est très bien que la littérature, comme la musique ou les arts en général: ce ne soit pas la culture officielle. C’est comme lorsque l’on te donne la rue: ce n’est pas parce qu’il y a une rue Serge Gainsbourg ou le parc George Brassens que les gens vont flasher la dessus. La culture officielle n’a rien de très excitant, et on ne peut pas y trouver son propre truc.

Et quel a été votre premier choc érotique littéraire?

Alors c’est très curieux parce que c’est Ulysse de James Joyce. À la fin d’Ulysse, il y a un passage en écriture libre, sans ponctuation, dont j’ai un souvenir… D’ailleurs je ne l’ai pas relu depuis très longtemps, et je fais presque exprès. Un jour je vais me confronter avec mon émoi préadolescent. Mais quand j’avais 12-13 ans, je dévorais vraiment beaucoup de livre, tout ce qui pouvait me tomber dessus. J’avais donc lu Ulysse de James Joyce. Pourquoi? Je me souviens plus quelle avait été la clef. Je crois qu’à part les images dans les journaux du style 20 ans ou Playboy, c’est Ulysse de James Joyce. Ah! Et puis aussi soyons honnête, les premier James Bond de Ian Fleming. Mais c’est vraiment James Joyce avec lequel j’ai des souvenirs très clairs de masturbation adolescente.

Donc vous pensez que la littérature, comme la musique, a une innocence quand on la découvre, qui est difficile à retrouver plus tard?

Justement, cette question est intéressante, parce que… j’ai tendance à croire que la musique comme la littérature pour vraiment la comprendre et rentrer dedans, il faut avoir les codes. C’est évident en musique classique. Forcement si tu a une mélodie pure de Satie, Wagner ou Debussy tu vas pouvoir ressentir. Mais il faut comme même un apprentissage.

Dans le cadre de la littérature, c’est vrai que c’est compliqué. Car moi qui ne croit pas tant que cela a l’innocence, au flash immédiat… par exemple Burroughs, les premiers que l’on pouvait trouver en France, ce n’était pas Junky et tout ca. C’était genre Le ticket qui explose, La machine Molle que j’avais acheté pour des raisons évidentes : le Velvet qui en parlait tout les temps, Soft Machine… c’était une référence pop évidente. Au début j’avais vraiment du mal à comprendre la chose. Surtout dans la traduction française de Claude Pélieux, genre les cut-up et tout cela, je me disais “mais de quoi il me parle la?!”. Puis j’essayais de comprendre, de m’accrocher. Comme de la même manière, si l’on ne cesse de te répéter que tel groupe est fantastique, John Coltrane ou n’importe, faut que tu comprennes pourquoi, et donc tu écoutes et écoutes.

Donc il y avait un truc, dans certaine poésie, une sorte de compréhension instinctive qui ne passait pas par les codes. Alors que je ne crois pas à ca en général, même si ce n’est pas toujours si clair. Un truc comme Mallarmé, pour arriver à comprendre sa force, si tu n’as pas les codes et que tu ne connais pas sa place dans l’histoire de la littérature… ce n’est pas évident. Si! Tu vas choper une phrase énorme que tu va ressentir qui sera propre à ton expérience. Mais les grands poètes sont rarement dans l’aspect immédiat. A part des gens comme Verlaine qui marche comme une chanson de rock, certains flashs… sinon tu dois avoir un savoir pour comprendre les choses.

Il y a comme même bien un moment ou l’on est accroché.

Oui mais par quoi? Par l’œuvre? Par le mythe qui va avec que l’on découvre? Par l’ensemble des deux… c’est très bizarre. C’est rare que l’on lise ou que l’on écoute des choses sans aprioris. Genre on découvre une inconnue totale et on se confronte au truc. Imagine demain tu décides de lire Jack London et que tu achète tout Jack London… tu sauras comme même qui il est, tu a un passif, tu le replaceras dans ton imaginaire et ta mythologie. Il y a rien d’innocent. Même Burroughs, je partais avec un truc très chargé avec tout ce que j’avais pu lire ou glaner sur lui et sa légende beatnik.

La semaine dernière nous faisions l’interview de Christian Bourgois et il nous a parlé du Colloque de Tanger ou il rencontrait Burroughs pour la première fois. Toi aussi c’était la première fois que tu le rencontrais?

Ah non, c’était la seconde par définition. La vraie histoire c’est que: quand j’avais 17 ans je fréquentais le peu de personne qu’il y avait en France dans le rock glam. Donc j’étais ami avec une bande de gens très branchés littérature qui étaient les même que ceux qui était les meilleurs amis de Pacadis. Ca devait être comme ca que j’ai rencontré Pacadis. C’était des gens comme Gérard George Lemaire qui a l’époque travaillait chez Flammarion et qui à maintenant une sorte de fan-club des poètes décadents français. Gérard George était vraiment un amis d’enfance d’Alain et donc je sais plus si c’est Alain qui me l’a présenté ou l’inverse, mais c’était la même bande.

Donc, ils nous emmenaient comme cela à des trucs très littéraires. Ce sont des choses que je ne pouvais pas prendre au sérieux. En plus je savais que le mec était pété de blé parce que c’était l’héritier des champagnes machins. Pour moi, il s’amusait. Mais on rencontrait comme même des gens intéressants : Ginsberg et tout les poètes Beatnik. De plus, il s’occupait de ca chez Flammarion, Gérard George. Donc de Brion Gysin et le fameux Burroughs.

J’étais le premier à y aller, très fasciné. Je me retrouve à diner avec le William. J’étais sapé comme je l’étais souvent à l’époque: Tout en cuir noir, avec des détails glam du style paillette et machin. Et lui il me dit “You Must Be Rock & Roll Singer”. Je lui dis non et je lui explique qu’en France c’est un milieu très particulier, qu’il y a très peu de musiciens. Et lui me dit en gros : Taratata, il y a le colloque de Tanger dans un mois, et j’aimerai que ça soit ton premier concert. Donc Les garçons sauvages venaient de sortir dans la version de Flammarion, et la fin est une sorte de poème au niveau de la versification. Il me fait un autre truc. Sur la nappe hein! La nappe de restaurant comme dirait Dutronc. Il déchire la nappe, me la donne et dit “One Song For You”. Et c’était ma première rencontre avec Burroughs.

J’ai pris le pari aux mots et je me suis retrouvé au colloque de Tanger à jouer et à voir pour la deuxième fois le fameux William. Evidemment, je ne suis pas dupe du fait que Burroughs fût homosexuel, que j’avais 18 ans, un look machin, et qu’il fût très content. D’ailleurs il était là à tout les concerts que l’on a fait, on en a fait 3 ou 4. Et ce qui était drôle c’est que les littéraires de l’époque qui étaient très (soupir) vieille littérature ont été obligé de suivre. Donc il sont tous allés avec William nous voir dans cette espèce de cul de sac, avec les amplis a fond où on se prenait pour les Stooges et le Velvet. C’était assez drôle.

Et votre relation avec Christian Bourgois?

Christian Bourgois, il me disait toujours qu’il fallait que j’écrive un Roman, mais à l’époque je n’étais pas très chaud: je n’aimais pas le milieu de la littérature. C’est un milieu qui me semblait vraiment lourdingue, pas drôle, pas rock & roll quoi. En plus, dans le contexte de l’année 70, ce n’est pas un mystère s’il n’y a pas eu de grands écrivains ou grands romans. L’urgence était tellement dans le rock, il charriait tellement tout, que si tu voulais faire des poésies, bah non, tu écrivais des chansons de rock. Même un roman, l’époque n’était pas a ca. Je parle entre 65 et 78-79. Ca me parait clair.

Mais quand même j’avais essayé, fait une tentative. Mais il l’avait trouvé trop rock ou il ne comprenait pas pourquoi je parlais de fringues à chaque page. Il m’avait fait trois remarques du genre: “C’est bien! Mais faudrait que l’on fasse ceci, que l’on fasse cela”. Il voulait changer des trucs, ca m’avais gonflé, j’ai laissé tomber. Voilà en gros tous mes rapports avec Christian Bourgois à l’époque.

Pourtant il y avait déjà une connexion littérature rock & roll grâce à Bulteau.

Bien sur, qui était très respecté. Moi je connaissais déjà Bulteau avant ca.

Et Melmoth, dont Christian Bourgois et le seul éditeur dont il ne dit pas de mal.

Ah oui!!! Mais je ne suis absolument pas en train de dire du mal de Christian Bourgois non plus. La collection 10/18 a été un truc très respecté, indispensable en France. C’était le seul à sortir plein de trucs vraiment importants.

Alors est-ce que c’était lui ou Pélieux qui a apporté ca en France: Burroughs et tout ca?

(Embrouillé) Je crois que… que quand le truc était dans l’air du temps. Il y a des évidences comme cela. Même le premier bouquin de Burroughs qu’il a du sortir ca nous emmène au début des années 60 pour Bourgois. Le Ticket qui explosa est le premier sortie. Et il y a comme même un journal comme Planète qui en parle des 61-62. Donc c’était une évidence, un air du temps. Bourgois avait assez de flair pour sentir le vent venir.

Et puis il y avait pas mal de papier sur la mythologie Beat. Au moins dans un milieu littéraire il savait ce que c’était.

Comme tu parles de Planète, qu’est ce qui t’a fait aimer Le matin des magiciens?

C’est un livre qui a vraiment été initiatique; qui a vraiment été important et qui l’est toujours. Comment je l’ai aimé ? j’avais 13 ans, j’adorais Antoine, et dans une interview on lui demande “qu’est ce que vous lisez en se moment”, il répond: Le matin des magiciens. Deuxième truc: il y a le groupe branché très Hype, car c’est le mot chic en ce moment… donc c’était Martin Circus. C’était le Trafic français, le truc le plus branché que tu pouvais imaginer en 1968. Et eux, premier 45 tours Tout tremblant de fièvre, 2 éme, Le matin des magiciens. Evidemment je suis allé l’acheter et ca a été un choc énorme.

Toutes les notions d’occultisme, c’était encore assez flou pour moi. Et c’est la que j’ai pu tirer sur les fils et découvrir tout ca. Tout ce qui m’a fasciné dans mes périodes d’occultisme, ou je dirais un peu gothique, le déclencheur c’était Le matin des magiciens. Il y a tout dedans. Il y a à boire et à manger, c’est sur. Par exemple ce qu’il dit sur le rapport entre l’occultisme et les nazis, après tu découvres le bouquin La lance du Destin de Trevor Ravenscroft. Et puis il était fait comme ca, dans un principe 60’, le genre Readers Digest comme sa. C’est à dire que chaque chapitre est une entité, et qu’il y a des entrées multiples. Ce n’est pas un essai très long, tu rentre ou tu veux. Comme cela a été un livre de chevet pendant très longtemps, je peux le prendre n’ importe où, et en lire 100 pages.

Et puis en plus Pauwels, il y avait Gainsbourg dans Initials BB qui disait: ” Parcourant L’amour Monstre de Pauwels”. Forcement adoubé par Gainsbourg, adoubé par Antoine, cela ne pouvait être qu’intéressant. Et puis il y avait Planète que je lisais. Planète c’était un magasine fantastique. Je ne lisais pas tout parce que il y avait des numéros sur la numérologie ou Claude Levis Strauss, le structuralisme… ca va 5 minutes hein. Mais il y avait le numéro de Planète avec Dylan en couverture, sur le LSD, ca faisait partie de mon truc. Pauwels avait cette image là à l’époque, pas du tout Figaro. On pourrait en discuter, et il se pourrait que j’arrive encore à le défendre.

Photos :Virgil Biéchy
Interview par Little Johnny Jet et Charles Von Strychnine

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