13 Octobre 2014
En 1966, Suzanne Schiffman remarque un article de la journaliste et écrivain Claude Pasteur intitulé Julien et Marguerite.
Publié dans le magazine Elle (n° 1056, mars 1966), dans une série de chroniques historiques intitulées "A la recherche des amours perdues", il retrace un fait divers historique tragique : les amours incestueuses d'un frère et d'une sœur qui les conduisirent jusqu'à l'échafaud.
Elle pense que le sujet plaira à François Truffaut et lui confie l'article. Celui-ci, effectivement intéressé par la puissance de l'histoire et la fougue des personnages, charge alors Jean Gruault de rédiger un plan de scénario.
Dans ce but, Truffaut fait dactylographier l'article de Claude Pasteur afin de pouvoir l'annoter. (La mention manuscrite figurant en haut de la page reproduite ici a été portée par Gruault lorsqu'il a confié ses archives à la Bibliothèque du cinéma de la Ville de Paris.
Normandie, fin du XVIe siècle. Julien et Marguerite de Ravalet, deux des enfants du seigneur de Tourlaville, entretiennent un amour exclusif. On les sépare en envoyant le garçon faire ses études, mais, à son retour après plusieurs années, leur lien renaît, plus éclatant encore. On éloigne Marguerite à son tour en la mariant de force à Jean Lefebvre, qui n'est pas noble, mais très riche, car collecteur de l'impôt royal de la taille. Battue par son époux, Marguerite se réfugie chez ses parents. Surprise avec son frère par un valet qui les dénonce, le couple fuit à Fougères, puis à Paris. Recherchés, ils sont arrêtés par la police. Interrogés et torturés, ils sont condamnés à mort à l'issue de leur procès et après que Marguerite a donné naissance à un enfant. La demande en grâce auprès d'Henri IV échoue. Ils sont décapités en place de Grève le 2 décembre 1603.
A partir du début de 1971, Jean Gruault s'attele au projet, réunissant une importante documentation. Il rédige d'abord un plan de l'histoire, auquel Truffaut donne son aval en annotant la première page (ci-contre) de la mention "Le prologue est OK, encore un beau film." Gruault rédige ensuite en 1973 un premier scénario, qui reçoit lui aussi l'assentiment du réalisateur.
Malgré son enthousiasme initial, François Truffaut abandonne le projet en 1973, car le thème de l'inceste est alors en vogue, avec par exemple la sortie en 1971 du film Le Souffle au cœurde Louis Malle. En 1978, François Truffaut et Jean Gruault rouvrent le dossier, envisageant d'en faire un téléfilm en deux parties. Pour cela, ils repensent la construction du film, imaginant de mettre en avant l'enfance de Julien et Marguerite, la description de la vie des petits nobles à cette période, et de privilégier les liens de cœurs et non ceux du corps pour éviter de donner au film un côté scabreux. Mais le projet, refusé par la télévision, est alors définitivement abandonné.