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Moïcani - L'Odéonie

"Quand un salon littéraire devient un boudoir pour dames"

FRANCOISE HARDY CHANTE MODIANO

Alors qu'un Cahier de L'Herne est consacré à l'œuvre de Patrick Modiano, Françoise Hardy évoque pour «Le Figaro littéraire» le jeune homme qu'elle a rencontré en 1969.


ETONNEZ MOI BENOITLa chanteuse parle de l'écrivain qu'elle admire, et de l'homme introverti et peu à l'aise en société.

LE FIGARO LITTÉRAIRE. - Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Patrick Modiano?

Françoise HARDY. - Un jeune homme, Hugues de Courson, qui cherchait à placer ses chansons m'avait demandé un rendez-vous dans ce but. Aucune ne me plaisait. En désespoir de cause, il m'en a fait entendre une dernière, qui, selon lui, n'était pas du tout pour moi. C'était Étonnez-moi Benoît. J'ai trouvé ça si original, si saugrenu, que je l'ai aussitôt retenue. Le texte était de Patrick. Il me semble que nous avons fait connaissance à la suite de ça, mais je ne me souviens plus de la première rencontre.

La rencontre avec Modiano correspondait à un moment où vous étiez également ami avec Emmanuel Berl et sa femme Mireille. Comment fonctionnait cette bande?

Il n'y avait aucune bande. Simplement, Mireille m'avait recommandé de veiller à faire manger Patrick - elle m'avait fait la même recommandation pour l'un de ses élèves que je voyais aussi de temps à autre. Sans doute, Patrick était-il très démuni matériellement à cette époque, et puis il paraissait assez désincarné, distrait, peu préoccupé par ce genre de contingences. Je l'ai souvent emmené dîner au restaurant. Je l'ai aussi emmené au théâtre, en particulier voir la pièce géniale de James ­Saunders, La prochaine fois je vous le chanterai, qui se jouait au Théâtre Antoine. Nous avons plus ou moins découvert ensemble la musique de Stockhausen. Une musique si surprenante, que pendant que je préparais un thé dans ma petite cuisine et avais mis le disque de Stimmungpour que Patrick patiente, j'ai soudain entendu un rire inextinguible tellement étrange, correspondant si peu à sa personnalité réservée, effacée même, que dans un premier temps, je me suis demandé d'où venait ce bruit tonitruant. Patrick était déconcertant. On ne savait jamais s'il disait des choses vraies ou affabulait. Quand on se revoyait et que je lui demandais comment il allait, il laissait vaguement entendre, avec des airs très mystérieux, qu'il était malade des poumons, la tuberculose ou quelque chose de ce genre. Je n'y prêtais pas vraiment attention, je devais sentir qu'il valait mieux le prendre comme il était.

Vous aviez écrit pour Le Figaro littéraire que c'est Rue des boutiques obscures qui vous a le plus marquée, pourquoi?

Je ne sais pas. Je l'ai relu au moins trois fois, mais ça fait quelque temps que je n'y suis pas revenue. En réalité, si l'on met bout à bout tous les livres de Patrick, on a un peu l'impression qu'ils n'en font qu'un. Pour en revenir à la Rue des boutiques obscures, les dernières lignes de ce roman m'ont toujours bouleversée: «Elle a déjà tourné le coin de la rue, et nos vies ne sont-elles pas aussi rapides à se dissiper dans le soir que ce chagrin d'enfant.» Mais il faut lire tout le paragraphe qui est du Modiano pur.

Comment définiriez-vous le style Modiano?

Je ne sais pas faire ça, je n'ai jamais été chroniqueuse de livres, encore moins critique littéraire. Ce qui est certain et que tout le monde sait, c'est que, comme tout grand écrivain, Patrick a un ton, une musique qui n'appartiennent qu'à lui et qui ont un pouvoir d'envoûtement incroyable. Quand je commence l'un de ses romans, je ne peux plus m'arrêter: il sait mettre du mystère et de l'émotion là où il n'y en aurait peut-être aucun sans son regard à lui, sans son imagination très particulière.

Pourquoi, selon vous, les romans de Modiano ont-ils été si peu adaptés au cinéma?

Peut-être parce qu'il ne raconte jamais une histoire extraordinaire. C'est ce qu'il suggère et inspire à partir d'une situation quelconque avec ses mots, sa vision à lui qui rend ses récits tellement fascinants.

Est-ce que l'homme privé que vous connaissez ressemble à l'image que nous en avons à travers ses rares interventions médiatiques, c'est-à-dire hésitant, lunaire…?

Il me semble que oui. J'adore certaines anecdotes que sa femme, Dominique, raconte sur lui et qui montrent à quel point il est introverti et a, de ce fait, un mauvais rapport à l'objet, ce qui lui vaut des mésaventures d'une irrésistible cocasserie.

«Modiano», Cahier de L'Herne n° 98, dirigé par Maryline Heck et Raphaëlle Guidée, Éditions de L'Herne, 280 p., 39 €.

Auteurs: Modiano Patrick

Compositeurs: De Courson Hugues

Etonnez-moi, Benoît
Marchez sur les mains
Avalez des pomm's de pin Benoît
Des abricots et des poires
Et des lames de rasoir étonnez-moi

Etonnez-moi, Benoît
Faites la grand'roue
Le grand méchant loup Benoît
Faites le grand fou
Faites les yeux doux étonnez-moi

Etonnez-moi car de vous à moi
Cela ne peut pas
Cela ne peut pas durer comme ça
Car de vous à moi
C'est fou c' qu'on s'ennuie ici

Etonnez-moi, Benoît
Coupez vous les oreilles
Mangez deux ou trois abeilles Benoît
Faites moi le grand soleil
Faites sonner le réveil étonnez-moi

Etonnez-moi Benoît,
Jouez du pipeau
Accrochez vous aux rideaux Benoît
Attrapez-moi au lasso
Et jouons au rodéo étonnez-moi

Etonnez-moi car de vous à moi
Cela ne peut pas
Cela ne peut pas durer comme ça
Car de vous à moi
C'est fou c' qu'on s'ennuie ici

SAN SALVADOR

pendant la nuit
l'hiver est revenu
dans les rues aujourd'hui
tous les arbres sont morts
en écoutant la pluie
tu penses à ce pays
dont le nom était San Salvador
tu te souviens
quand tu fermes les yeux
d'un étrange jardin
d'où montait le matin
des milliers de parfums
et des papillons bleus
c'était peut-être San Salvador
San Salvador
tu répètes ce mot
comme si tu voulais
retrouver le reflet
des crépuscules mauves
et des gallions du port
qui revenaient de l'ile au trésor
tu ne sais plus
comment y retourner
qui sait si ce pays
a jamais existé
si c'était dans tes rêves
ou dans une autre vie
que tu as connu San Salvador
San Salvador
le vent souffle aux carreaux
dans le bruit de la pluie
tu entends un écho
une chanson perdue
qui te vient d'un pays
que tu ne reverras jamais plus

JE FAIS DES PUZZLES

il avait des yeux décembre
un sourire de juillet
il me disait des mots tendres
en hiver comme en été
le soir, le soir, je fais des puzzles
le soir, le soir, je me sens bien seule
il avait des façons Londres
de me promettre Corfou
mais au soleil ou à l´ombre
je le suivais n´importe où
le soir, le soir, je fais des puzzles
le soir, le soir, je me sens bien seule
quand j´avais les idées noires
il les peignait tout en bleu
de ce bleu un peu bizarre
que je trouvais dans ses yeux
le soir, le soir, je fais des puzzles
le soir, le soir, je me sens bien seule
il est parti en croisière
sans me dire où il allait
dans quelques années lumière
il m´a dit qu´il reviendrait
le soir, le soir, je fais des puzzles
le soir, le soir, je me sens bien seule

"À Cloche-Pied Sur La Grande Muraille De Chine (Soon Is Slipping Away)

FRANCOISE HARDY CHANTE MODIANO
FRANCOISE HARDY CHANTE MODIANO
FRANCOISE HARDY CHANTE MODIANO
FRANCOISE HARDY CHANTE MODIANO
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